jeudi 9 décembre 2010

L’invention de Morel Adolfo - Bioy Casares

C'est en 1940 qu'Adolfo Bioy Casarès écrit L'Invention de Morel, que désormais le milieu littéraire et même un assez large public des deux Amériques et des pays européens considèrent comme un chef-d'œuvre du genre fantastique. Son auteur l'avait qualifié de "dernier galop d'essai" : "J'avais un bon sujet, mais je cherchais moins la trouvaille que l'élimination de fautes dans la composition ; j'avais peur de tout abîmer, je me sentais pestiféré, contagieux, aussi prenais-je des précautions de toutes sortes — j'écrivais des phrases très courtes … — pour ne pas contaminer l'œuvre". En France, depuis sa sortie, en 1952, il a inspiré des commentaires prestigieux, notamment celui de Maurice Blanchot dans Le Livre à venir 1. Mais le tout premier fut un article paru dans Critique et signé Robbe-Grillet. Lorsqu'il écrivait ce livre, Bioy admirait surtout H.G. Wells ; il avait le goût exclusif des histoires, et aurait pu dire avec James : "Le sujet est tout". C'est donc le sujet qui, tout d'abord, émerveille ici le lecteur qui débarque, en compagnie d'un homme en fuite, dans cette île du Pacifique 2 qu'une peste mystérieuse a vidée de ses habitants. La solitude y est totale. Mais, tout d'un coup, le seul édifice qui s'y trouve se peuple de personnages qui se promènent, parlent, dansent. Pour le narrateur, ils ont l'air d' "estivants installés depuis longtemps à Marienbad". Robbe-Grillet n'oubliera ni cette adresse ni cette atmosphère étrange dans le film dont il écrira le scénario pour Alain Resnais.
Hector Bianciotti, "Adolfo Bioy Casarès, un rire fantastique". LE MONDE, 11 mars 1999

Adolfo Bioy Casarès déploie une Odyssée de prodiges qui ne paraissent admettre d'autre clef que l'hallucination ou le symbole, puis il les explique pleinement grâce à un seul postulat fantastique, mais qui n'est pas surnaturel. La crainte de tomber dans des révélations prématurées ou partielles m'interdit d'examiner le sujet, et les nombreuses et savantes finesses de l'exécution. Qu'il me suffise de dire que Bioy renouvelle pleinement un concept que saint Augustin et Origène réfutèrent, que Louis-Auguste Blanqui analysa et que Dante Gabriel Rossetti a formulé dans une musique mémorable :
I have been here before,
But when or how I cannot tell :
I know the grass beyond the door,
The sweet keen smell,
The sighing song, the light around the shore ...
L'Invention de Morel (dont le titre fait filialement allusion à un autre inventeur insulaire, à Moreau) acclimate sur nos terres et dans notre langue un genre nouveau.
J'ai discuté avec son auteur les détails de la trame, je l'ai relue ; il ne me semble pas que ce soit une inexactitude ou une hyperbole de la qualifier de parfaite.
Préface, pp. 9-10 Luis Borges
Adolfo Bioy Casares est un écrivain argentin, né le 15 septembre 1914 à Buenos Aires et décédé dans la même ville le 8 mars 1999.
Sa famille était d'origine béarnaise et il a situé quelques-unes de ses nouvelles dans cette région.
Très tôt acquis à l’art littéraire, Bioy Casares rencontre Borges dès 1932 : c’est le début d’une longue amitié, qui marquera de son sceau les productions personnelles de l’auteur (et donnera lieu, plus tard, à une féconde collaboration littéraire publiée sous le pseudonyme de Bustos Domecq : Chroniques de Bustos Domecq, 1967 ; Nouveaux contes de Bustos Domecq, 1977).
Cependant, ce n’est qu’en 1940 (année de son mariage avec Silvina Ocampo) et après six ouvrages reniés, que débute sa carrière littéraire avec la parution de L’Invention de Morel – qui reprend les données de L'Île du docteur Moreau (H.G. Wells) pour mieux en récuser les conventions. Ici, la trame du récit, mécanique implacable inspirée du roman policier, entraîne le narrateur, réfugié sur une île qu’il croit déserte, dans une énigme métaphysique où il devra choisir entre la prison du réel et l’illusion libératrice d’une existence « holographique », produite par une machine fantastique – l’invention de Morel.
Douloureuse métaphore sur la solitude, sur l’incommunicabilité et sur l’échec de l’amour, cette "fable" – devenue un classique de la littérature contemporaine -, annonce de fait la suite de l’œuvre de Bioy Casares, qui ne cessera d’esquisser, par le jeu de l’écriture, des échappatoires imaginaires à la contingence de l’homme - condamné à la linéarité du temps et de l'espace et, finalement, à la mort. Les nouvelles (Nouvelles fantastiques, 1945, Nouvelles d’amour, 1971…) et les romans (Plan d’évasion, 1945, Le Songe des héros, 1954…) publiés par Bioy Casares à partir des années 1940, ne cesseront ainsi de réitérer le mouvement commencé par L’Invention de Morel – celui d’un fantastique à forte dimension psychologique, élégant et sensible, à l’image du "narrateur type" de l’auteur – un Don Juan pathétique, ironisant sur son destin et sur les femmes, déchiré entre enthousiasme et nostalgie, humour et sérieux, fantaisie et réalité.
Adolfo Bioy Casares a été couronné pour l’ensemble de son œuvre par le prix Cervantes, la plus haute distinction des lettres en langue espagnole, en 1990.
En 1981, Casares a été fait chevalier de la Légion d'honneur.
Traduit de l'espagnol (Argentine) par Armand Pierhal; préface de Jorge Luis Borges.

Editions 10 18

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